Déesse – oui, le Dieu de Liesel était une femme – faîtes qu’elle ne soit pas là. Elle avait fait tous les calculs possibles au monde, de quoi faire pâlir de jalousie un ingénieur nucléaire, afin d’être sûre et certaine de ne croiser ni maman queen, ni papa queen. Elle revenait un peu la queue entre les jambes, régulièrement, fourrager dans ses affaires, en voler une au passage, peut-être deux, priant pour que rien ne se voie. Mais là, elle avait furieusement besoin de ses bottines en cuir. Genre, ça en devenait presque une question de vie ou de mort – on se les pelait dans ce pays, bordel. Octobre, alors que les feuilles mordorées tapissaient lentement le monde de leur empreinte délicate, les vents froids d’hiver commençaient déjà à chatouiller le bout de son nez rougi par la météo. Octobre et ses désagréables morsures glacées. Sauf que Liesel avait le joker « maison des parents » et qu’elle n’hésitait pas à s’en servir quand le besoin se faisait trop ressentir.
Sauf que lorsqu’elle arriva dans le jardin de l’immense demeure, la rumeur agréable du bois dans la scie la ramena sur terre. Merde, y’avait quelqu’un ? Ah ouais, ils avaient vaguement embauché un nouveau jardinier récemment, ou un truc du genre. Elle chercha d’où provenait le hululement et ses yeux s’arrêtèrent sur un jeune homme, coiffés de ses écouteurs, tenant la scie à bout de bras pour scier une branche. Un sourire peu farouche s’étala sur les lèvres du jeune homme – il devait avoir quoi, dix-huit ans ? – auquel elle répondit – bon sang, elle ne s’attendait pas à ce que la journée soit si riche en rebondissements ! – jusqu’à ce qu’il s’accoude sur une branche… qui se brisa sous son poids. Il tomba, ses bras barbotant dans les airs comme le ferait un oiseau qui apprendrait à voler. Estomaquée par la scène à laquelle elle venait d’assister, la Queen laissa tomber son sac en bandoulière près d’un rosier pour se précipiter et voir s’il allait bien. Manquerait plus qu’il y ait un cadavre dans le jardin des Queen et alors la famille aurait tout gagné. Plus qu’un divorce et ils auraient fait tous les scandales de la ville ! «
Hé ! Ca va ? Tu t’es pas fait mal ? – Salut. » Elle ne put s’empêcher d’éclater de rire devant la désinvolture du garçon, dont les yeux papillonnaient maladroitement. «
Salut. » Ca lui faisait bizarre, de rencontrer quelqu’un comme ça, dans sa maison (enfin, dans son ancienne maison). Quelqu’un qu’elle ne connaissait pas. «
Liesel Queen, enchantée, dit-elle en lui tendant la main. » Un peu pour le saluer, beaucoup pour voir s’il va la lui prendre alors qu’il essaye de se remettre debout. Punaise, ce n’est pas une chute très haute mais il a dû se blesser le pauvre. «
Je ne suis pas sûre que la beauté d’un jardin mérite que tu prennes tant de risques inconsidérés pour lui, tu sais. » Elle attendait quand même qu’il lui assure que tout allait bien – dans le cas contraire, un petit tour aux urgences ne leur coûterait pas grand-chose. Il fallait faire attention avec sa santé. Arf, voilà qu’elle tombait dans des affres qu’elle ne supportait pas d’elle-même : les gens étaient bien assez grands pour s’occuper de leur peau, elle n’avait pas besoin de les couver de ce regard de Mère Theresa là.
Quand sa mère lui avait vaguement appris qu’un nouveau jardinier viendrait s’occuper de temps en temps des massifs, Lies n’avait pas vraiment capté sur le coup qu’il s’agirait de quelqu’un
de son âge. Ni quelqu’un qui serait d’ailleurs assez mignon pour attirer son regard. Elle avait mille et une questions à lui poser maintenant qu’elle savait qu’elle avait peut-être la main mise sur un espion de taille, pourtant elle ne voulait pas lui faire peur avant qu’ils ne se connaissent un peu – d’abord, caresser le chaton dans le sens du poil.